L'ascension du Pic de l'Étendard |
Jeudi 18 Juillet 1996.
Souvent, en montagne, malgré les désirs sans cesse renouvelés de nouvelles courses, de fréquents impondérables viennent troubler les ordonnancements les plus sophistiqués. Ainsi, en cette année 1996, le mauvais temps des premiers jours a perturbé la progression que nous nous fixons chaque année : d’abord une période d’acclimatation de plusieurs jours puis une course avec un guide et éventuellement, de nouvelles randonnées conservant encore un caractère de découverte sportive. Nous avions envisagé de faire quelques randonnées à notre portée sur glacier et même une sortie collective afin d’atténuer les coûts des courses individuelles. La répartition des périodes de temps favorables et défavorables a obligé à un choix rapide et sans appel: d’abord du très mauvais temps puis une longue suite de journées correctes pendant lesquelles nous sommes sortis en haute montagne et malheureusement le retour du temps maussade et incertain qui a écourté les espoirs de randonnées exceptionnelles. Après neuf randonnées de préparation, nous décidons de la première sortie importante en changeant de vallée et en partant à la découverte du Massif des Grandes Rousses pour atteindre le Pic de l’Étendard. Les achats de nourriture pour la première journée et pour le lendemain, effectués à La Grave, les sandwichs préparés, les affaires rangées et le matériel vérifié, nous nous dirigeons vers le Col du Glandon et celui de la Croix de Fer après la traversée de Bourg d’Oisans et de la vallée d’Oz. Le départ de la première partie est mal indiqué et je dois revenir à un bar-restaurant au col pour demander la direction. Enfin, sous une chaleur accablante, les sacs remplis, surtout à cause des chaussures de haute montagne, nous abordons le chemin ou plutôt le sentier-autoroute emprunté par les 4x4 qui mène au refuge. Nous pique-niquons rapidement après deux virages et tranquillement, en une heure vingt minutes nous atteignons le but de la journée en croisant des alpinistes revenant sans nul doute du sommet atteint dans la matinée et en dépassant des touristes se rendant en promenade autour du refuge, facilement accessible aux randonneurs peu entraînés. Depuis quelques jours, nous avons pris contact, comme d’habitude, avec Stephan Garzczynski qui doit nous attendre au refuge. En effet, il devait réaliser, le matin même avec deux autres clients, la course que nous désirons accomplir. En arrivant, nous apprenons qu’il dort et après avoir bu une Heineken, nous décidons d’aller à la découverte des chemins alentours. Nous grimpons au Col Nord des Lacs puis au point 2617 m afin d’essayer de découvrir le massif et de deviner le sommet dans les nuages qui peuplent le ciel. Le panorama est attractif sur le Massif du Mont-Blanc, la Vanoise et l’Oisans puis sur des vallées accueillantes qui s’ouvrent à nos pieds. Des motards, malheureusement, viennent pétarader au milieu des collines herbeuses. Nous décidons de faire le tour du premier lac et en chemin, soudainement, une pierre vient rebondir au-dessus de la tête de Jean-Hervé ce qui nous alerte mais il s’avère que ce sont des moutons paissant dans le pierrier qui ont déclenché la chute. Nous rentrons au refuge et comme le temps est encore long, nous mangeons deux crêpes avec de la confiture de myrtilles, arrosées de thé et de Sweppes. Stephan apparaît au sortir de sa sieste, tranquille et déjà enrubanné d’un nuage de fumée conséquence d’une fâcheuse habitude à vénérer la déesse Nicotine. Nous reprenons contact après un an d’éloignement et comme tout va bien et que la météo semble propice pour le lendemain, nous sommes sincèrement heureux d’être encore à la veille d’une course. Le ciel tend à se dégager progressivement et le soleil qui vient frapper directement la peau est trop ardu pour être supporté longtemps mais en revanche à l’ombre du bâtiment, un petit vent provenant des glaciers procure une désagréable sensation de fraîcheur. Nous ne discutons guère de nos matériels car nous sommes désormais équipés correctement. De plus, cette année, Jean-Hervé a fait l’acquisition d’un baudrier et nous avons chacun acheté des bâtons de marche qui nous ont particulièrement facilité la marche. En effet, le fait de pouvoir augmenter à chaque pas, le polygone de sustentation a permis de mieux équilibrer le corps, d’ouvrir l’espace thoracique et de nous assurer aisément sur les sentiers abrupts. Stephan a déjà effectué de belles courses cette année et le reste du temps, la construction de sa maison à Bourg d’Oisans l’accapare suffisamment pour que son temps ne soit pas inoccupé. Les touristes venus en promenade autour des lacs ont petit à petit disparu et une certaine douceur s’est installée. Le gardien, avec son aide de cuisine népalais, fait d’abord une course d’un quart d’heure autour des deux lacs puis initie une jeune fille à l’escalade sur des rochers aux abords du refuge. Des groupes importants de jeunes en centre de vacances viennent d’arriver et vont s’installer dans des bâtiments plus bas. Je regarde avec envie ces garçons et ces filles d’une quinzaine d’années qui vont profiter bien plus jeunes que je ne l’ai fait de l’initiation à la montagne. Il ne leur restera plus ensuite qu’à améliorer leur connaissance pour accomplir rapidement des courses de plus en plus intéressantes. Nous décidons de prendre un apéritif sur la terrasse du refuge et un kir plus loin, l’heure s’approche du repas. Nous sommes installés avec deux couples de randonneurs âgés qui vont aussi grimper le Pic de l’Étendard. Ce sont des gens du pays qui ont souvent déjà parcouru la région car les deux hommes semblent avoir travailler à la construction et à l’exploitation du barrage hydraulique qui barre le front aval du dernier lac. Une des deux dames est originaire d’Oz en Oisans à quelques kilomètres d’ici et elle connaît aussi l’histoire de l’édification car son père y a travaillé. La conversation s’engage sur ce terrain avec Stephan toujours curieux d’apprendre ainsi des nouveautés. Le barrage aujourd’hui n’est plus utilisé pour la production électrique mais uniquement pour l’alimentation en eau de vallées lointaines dépourvues du précieux liquide. Derrière nous, sont installés un couple avec un jeune enfant que nous verrons demain prendre des photos sur les névés et un homme qui attend la venue du guide de la course collective qui nous suivra toute la matinée. Nous mangeons d’abord une soupe de légumes assez épaisse et qui s’avère bonne ce qui ne sera pas le cas du reste du repas. Le plat principal est composé d’un « goulasch », en réalité, les restes de viande des jours précédents accompagnées des macaronis également délaissés par les clients des jours passés, le tout, trop cuit, trop mou, trop fade. Néanmoins, avec beaucoup d‘appétit, je reprendrai à plusieurs reprises de ce mets revigorant ce qui ne sera pas le cas des autres convives, en particulier Stephan qui râle bien qu’on lui ait apporté deux saucisses pour remplacer la viande qu’il a déjà expérimentée, du fait d’avoir, la veille, profité des talents culinaires des gardiens. Pour le dessert, nous avalerons, difficilement, un gâteau sec et solidement charpenté, avec une sauce aigrelette. Pour une fois, nous nous contenterons d’eau bien que l’habitude soit d’accompagner les repas d’une gorgée de vin. Nous sortons admirer les derniers rayons du soleil après avoir préparé les gourdes, en particulier l’Isostar, et après avoir rangé les affaires pour la course. Le froid arrive rapidement dès que le soleil s’est caché derrière les rochers et je me décide à m’allonger sur le châlit avec une petite appréhension de chute car il n’y a aucun rebord qui éviterait une dégringolade dans l’allée centrale. Jean-Hervé, en prévision, s’installe entre deux emplacements, contre le pilier de séparation. Au-dessous de nous, se sont installés les quatre alpinistes qui nous ont accompagnés pendant le repas et que nous retrouverons demain tout au long de la course. L’extinction des feux est assez perturbée par les bavardages chahuteurs des quatre qui craignent les ronflements intempestifs de certains d’entre eux. Je dois dire que je dormirai particulièrement bien et que rien ne viendra gêner mon sommeil même pas le chahut monstre qu’il y eut cette nuit-là et que j’apprendrai le lendemain matin. Il semble en effet qu’un groupe, parti en soirée d’un lieu suffisamment proche pour normalement parvenir au refuge avant l’obscurité totale, se soit attardé en route et qu’il n’ait pu atteindre le gîte qu’à une heure avancée de la nuit. Cette arrivée ne s’est pas accomplie dans la discrétion nécessaire tant et si bien que presque tout le monde fut réveillé par leur passage bruyant dans chaque pièce du dortoir et que la gardienne autrichienne ait du venir ramener de l’ordre dans le groupe. Pour ma part, je n’ai strictement rien entendu ce qui ne manque pas de m’étonner car j’ai en général, le sommeil léger. Vendredi 19 juillet 1996. Je suis réveillé vers 3h15 après une nuit satisfaisante et j’attends tranquillement que l’on vienne nous prévenir comme cela est prévu qu’il est temps de se lever. Effectivement, à 4 heures, une voix nous interpelle et il faut alors dérouler le cérémonial de chaque début de course dans l’ordre le plus efficace : plier les couvertures ce qui n’est pas facile quand on est coincé entre un lit et la planche inférieure du châlit supérieur, prendre son sac, passer aux toilettes, avaler si possible un petit déjeuner copieux (beurre, confiture, miel, thé, café sucré pour une fois, énergie oblige, pain difficile à apprécier car un peu rassis), mettre les chaussures de marche, enfiler le baudrier, installer la lampe frontale, préparer le petit matériel sur le haut du sac à dos, le tout dans un pêle-mêle normal où chacun cherche à s’organiser. Pendant le petit déjeuner, une des deux dames demande à Stephan l’état de la rimaye au sommet du glacier et notre guide la renseigne en lui indiquant qu’elle n’existe pas cette année ce qui est très rassurant car il s’avère parfois difficile de franchir ces passages comme nous l’avons constaté l’an dernier à la Pilatte. Tous ces préparatifs se feront assez rapidement et vers 4h 50, nous sommes prêts parmi les autres cordées pour la course. En vérité, nous quittons parmi les derniers le refuge, mais nous allons rapidement, sur le chemin qui longe les deux lacs, rattraper puis dépasser les groupes partis avant nous, en particulier les participants de la course collective composée d’une dame avec ses deux jeunes filles et d’un homme expérimenté, qui nous suivrons d’assez près tout au long de la matinée. La visibilité n’est pas bonne car il fait encore nuit et ma lampe frontale permet tout juste de repérer les traces du chemin. Nous avançons néanmoins rapidement sans dire un seul mot, chacun ordonnant pour lui les premiers pas de la course. Nous suivons de très près les bords du deuxième lac et sans doute, en pleine forme et très calme, je ne peux m’empêcher de plaisanter en déclarant qu’heureusement la marée était basse quand nous sommes passés au ras des flots. Pour l’instant, l’obscurité est telle que nous ne voyons rien de très intéressant mais le temps sera propice pour les photos. Lorsque nous arrivons sur la moraine, après les deux lacs, Stephan coupe à travers le névé pour dépasser les groupes légèrement plus lents que nous. Nous marchons assez vite et nous sommes vite réchauffés. Quand nous abordons le glacier, nous chaussons les crampons et nous nous encordons aussitôt. La première partie du chemin est très facile sur le glacier et il semble n’y avoir aucun danger ce qui est totalement faux comme le montrera, au retour, la découverte de deux trous d’une quarantaine de centimètres de diamètre, complètement invisibles avant de parvenir juste au-dessus d’eux. Il est bien évident que si, en montant, un d’entre nous, dans la pénombre avait posé le pied sur ce vide, il serait irrémédiablement tombé, sans doute peu profondément, mais néanmoins suffisamment pour justifier l’encordement que d’ailleurs Stephan n’a pas hésité à installer en toutes connaissances de cause car un guide lui avait signalé la veille que sa cliente avait chuté dans une crevasse à proximité de la moraine. Nous avançons facilement aidés par le seul bâton que nous avons pris car une main doit rester libre pour s’occuper de la corde. Nous abordons une pente plus raide que nous gravissons en faisant des zigzags assez larges ce qui laisse le temps d’admirer le paysage qui, petit à petit, émerge de la pénombre. J’ai glissé dans la poche extérieure de ma fourrure polaire, un appareil photo jetable que je vais utiliser tout en marchant sans demander une pause. A l’Est, des rougeurs vives s’allument derrière le Massif du Mont Blanc révélé en négatif sur le ciel encore sombre. Nous sommes toujours dans l’obscurité mais cet émerveillement à l’horizon semble rapprocher les hauts sommets. Derrière nous, des cordées se devinent plus bas sur le glacier ce qui permet déjà d’apprécier la pente que nous avons franchie bien que l’impression soit d’être en terrain plat. Un petit vent rafraîchit le visage et nous sommes désormais, tranquillement installés dans la course. Au-dessus de nous, deux alpinistes nous ont devancés, profitant de l’arrêt que nous venons d’effectuer pour quelques photos et un ravitaillement en eau et en barres chocolatées. Stephan les interpelle sèchement concernant leur absence de corde sur un glacier. Pas de réponse mais connaissent-ils seulement le chemin et les risques des crevasses invisibles mais omniprésentes? Il est permis d’en douter. Maintenant, les sommets à l’horizon se découpent sur le ciel qui a peu à peu changé de couleur, passant d’un rouge soutenu à une multitude de nuances d’orange et de jaune. Il est fort dommage qu’il soit difficile de recueillir sur des photographies ces images sublimes et encore plus regrettable que le spectacle ainsi offert par ce lever de soleil ne dure qu’un instant. En marchant, le dos tourné au lever de soleil, je ne cesse de me retourner pour capter le plus possible la vision féerique qui se transforme rapidement pour offrir ensuite un panorama étendu du site glaciaire dans lequel nous progressons. Des mers de nuages flottent au-dessous des plus hauts sommets marquant ainsi les vallées qui se succèdent jusqu'à l’horizon Nord. L’éclairage sur ces nuées suspendues se modifient continuellement et à chaque regard, après avoir avancé de quelques mètres, ayant ainsi modifié l’angle de vue, nous redécouvrons une perspective différente mais aussi merveilleuse. Tout en nous émerveillant, nous avançons et escaladons la pente en flânant en apparence car Stephan nous fait opérer des détours en créant une nouvelle piste sans chercher à suivre la voie normale. Ainsi, la difficulté est moindre et les passages successifs de droite à gauche sont aisés. De temps en temps, en levant la tête, je remarque qu’il observe notre démarche tirant des enseignements utiles pour la poursuite de la course. Devant nous, sur la gauche, les Cimes du Grand Sauvage et leurs étendues de neige blanche sont éclairées par le soleil éblouissant qui vient percuter les pentes et juste dans notre axe de marche, le Col des Quirlies marque la base de la crête du Pic de l’Étendard. Le glacier se révèle immense et comme d’habitude la connaissance que nous en avions de la moraine se trouve totalement modifiée au fur et à mesure de la progression. Nous prolongeons nos pas vers l’Ouest en direction du Col de la Barbarade en suivant une crête enneigée facile qui nous ouvre une vue plongeante sur une face escarpée et encore totalement dans l’obscurité. Je ne crois pas que nous soyons encore fatigués car l’entraînement suivi les jours derniers nous a donné largement les capacités nécessaires à l’effort d’aujourd’hui. Nous faisons une halte au col et prenons quelques autres barres chocolatées avec de l’eau avant d’être rejoints par les deux hommes qui ont accompagné notre repas hier soir. Leurs femmes suivent un peu plus loin avec quelques difficultés car elles ne prendront pas le même chemin pour la dernière partie, préférant avancer directement dans la pente parmi les traces profondes laissées par les alpinistes qui sont descendus les jours précédents. Nous sommes aussi rejoints par le groupe de la course collective qui passent devant nous pour s’arrêter quelques mètres derrière le monticule de neige qui masque la dernière partie de l’ascension. Cet ultime tronçon semble plus raide mais Stephan, fidèle à son habitude, marche en faisant de grands détours dans la pente, nous entraînant sur des inclinaisons que je n’oserai certainement pas emprunter seul et qui s’avèrent plus faciles bien que, dernier de la cordée, je sens qu’il ne faudrait pas faire un mauvais pas car la chute serait rapide et sans obstacle sinon l’arrêt brusque que ne manquerait pas d’effectuer le guide. La trace est bien marquée mais nous la coupons à plusieurs reprises avant d’emprunter enfin le couloir profond qui conduit sur la petite arrête sommitale qui mène directement au point culminant à 3464 mètres d’altitude. Le trajet se fait rapidement et sans aucune difficulté et en quelques minutes nous sommes au sommet. Nous venons d’effectuer notre dixième sommet de haute montagne dans un confort tranquille par une matinée exceptionnelle qui dévoile maintenant sur tout un tour d’horizon, les plus belles faces des Alpes. Il est 8h 50 et nous marchons depuis quatre heures. Les deux alpinistes à qui Stephan a fait des remarques précédemment, sont assis là en train de manger sous le sommet à l’abri du petit vent frais qui balaie le dôme enneigé. Nous nous installons juste au sommet et nous sommes aussitôt éblouis par le panorama qui se dévoile à nos yeux. De partout, émergent des pics, des pointes et des aiguilles d’entre les nuages qui comblent les vallées entre les massifs bien visibles sur tout l’horizon. Vers le Nord, la masse imposante de la face Sud du Mont-Blanc surnage bien au-dessus des vapeurs blanchâtres. Plus loin, on devine le Cervin, magnifique pointe suisse qu’il faudra bien un jour aller visiter de plus près du côté de Zermatt. La Vanoise laisse émerger ses quelques sommets les plus hauts et beaucoup plus près de nous, les Aiguilles d’Arves se reconnaissent aisément à leurs trois pics caractéristiques. Nous retrouvons aussi une vue différente du massif de l’Oisans que nous avons d’habitude sous les yeux à La Grave, avec la Meije, les Agneaux, le Râteau et la Barre des Ecrins. Vers l’Ouest, les massifs du Vercors, de Belledonne et des Aravis présentent des rocs de belles couleurs sous le soleil radieux de la matinée. Je prends de nombreuses photos puis je filme le panorama avec les commentaires de Stephan qui fume tranquillement assis sur une pierre. Nous avons été rejoints par les autres cordées et l’espace s’est réduit au sommet du Pic de l’Étendard. Nous essayons de manger quelques sandwichs mais bizarrement l’appétit n’est pas au rendez-vous et il faut faire un sérieux effort pour se forcer à ingurgiter une nourriture nécessaire pour la descente. Après une demi-heure au sommet, nous reprenons le chemin du retour en plongeant littéralement droit dans la pente ce qui ne manque pas de m’impressionner car maintenant je suis en tête de cordée. Très vite, je sens que la neige botte sous mes crampons mais Stephan me rassure en me disant que ça ira et il ne me restera donc qu’à frapper régulièrement sur mes chaussures pour chasser la masse de neige qui s’agglutine petit à petit entre les pointes de fer. Il fait maintenant trop chaud car le soleil est haut dans le ciel et ses rayons viennent directement frapper le glacier où nous descendons à vive allure nous enfonçant régulièrement jusqu’au genou dans la neige parfois trop molle mais en plaçant correctement les talons fortement dans la pente, on peut atténuer la sensation de glissage et presque marcher comme on le ferait sur un chemin de terre. La cordée collective, arrivée après nous au sommet, est repartie devant nous et nous n’allons pas tarder à la rattraper en constatant au grand désespoir de Stephan que le guide a libéré de la corde ses clients alors que les risques de crevasses sont encore bien présents. Nous nous arrêtons une dernière fois pour finir les photographies de la pente et comme à chaque fois, je regrette déjà la brièveté de la course et mon esprit s’évade aussitôt vers la possibilité de nouvelles ascensions. En moins de deux heures, nous sommes revenus à la hauteur de la moraine et nous pouvons ôter les crampons et la corde. Nous allons aborder les névés en pleine pente en essayant de glisser sur la neige un peu plus molle que ce matin ce qui est un plaisir supplémentaire dont je ne me prive pas. Tout en marchant, j’interroge Stephan sur les cols que je souhaiterai gravir sans guide et sur les sommets intéressants que nous pourrions atteindre l’an prochain. Nous parvenons au Refuge vers 11h30 après une dernière marche un peu fastidieuse le long des lacs. Nous nous offrons, dans une atmosphère de crises au refuge entre les jeunes employés et une fille qui leur reproche leur désinvolture, trois Coca-cola pour fêter cette nouvelle randonnée en haute altitude. Nous nous intéressons enfin au prix de la course (1500 F), à la facture du refuge (711 F) et au coût exorbitant des à-côtés (197 F). Stephan nous quitte ensuite rapidement et redescend vers le Col de la Croix de Fer en VTT. En chemin, nous rendons à un alpiniste qui les a oubliées, ses lunettes que nous avons découvertes en arrosant les fleurs du trop plein habituel de nos gourdes. Nous regagnons la voiture en une heure en coupant le plus possible les grands virages destinés aux 4x4. Au chalet du Col de la Croix de Fer, nous prenons un thé froid et achetons quelques cartes postales du Pic de l’Étendard et enfin reprenons la route vers Saint Sorlin d’Arves puis Saint Jean et Saint Michel de Maurienne pour revenir par Valloire et le Col de Télégraphe puis le Col du Galibier à La Grave que nous allons atteindre après plus de deux heures de voiture. Il nous reste encore comme à l’accoutumée et en récompense bien méritée, à s’offrir deux Pelforth à la Pierre Farabo où elles nous attendaient depuis quelques heures. Ainsi s’achève la dixième course de haute montagne dans une sérénité qui nous étonne quelque peu mais les images de la matinée, la progression tranquille et la vue du sommet resteront gravées au fond de la mémoire comme des instants de pur bonheur. Dimanche 18 août 1996, Pleyben. |
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